mercredi 10 décembre 2014

L’agriculture conventionnelle ne nourrit pas la planète.



La mort de faim est quelque chose d’intolérable. La mort de faim d’un enfant, c’est quelque chose de monstrueux. C’est tellement monstrueux que les mots me manquent. C’est tellement atroce, douloureux que je ne veux, je ne peux pas possiblement m’y attarder. J’ai vu des photos de squelettes vivants, les têtes démesurées et les regards hagards des affamés. J’en ai vu en vrai aussi.  J’ai déjà pleuré. Je ne noterai pas une liste émotionnellement stérile des chiffres et statistiques mondiales de la faim. Pour cela, il suffit d’aller sur les sites d’organismes dont la tâche consiste à quantifier ce dysfonctionnement sociétal. Moi, quand je pense à la faim d’un enfant, ça me pique le cœur. J’ai honte. J’ai honte de la race humaine. Je fais partie des nantis qui n’ont jamais eu faim. Qui ne savent pas ce que c’est. Quand j’étais enfant et que je rechignais à manger, j’ai entendu des adultes dire « pense aux enfants d’Afrique… ». Mais non, je ne peux pas y penser. Qu’est-ce que mes bonnes pensées y feraient ?

Il y a aujourd’hui trop de « gens biens » qui me disent – d’autant plus maintenant que je produis de la nourriture bio – que l’agriculture biologique ne nourrirait pas la planète. Je l’entends tellement souvent celle-là, que j’ai envie de crier fort pour que tout le monde m’entende : l’agriculture intensive, industrielle, chimique et pesticidée ne nourrit pas la planète. Alors arrêtons de déblatérer sur ce sujet. 

Des enfants meurent de faim. Aujourd’hui. 

Pourtant, nous savons tous autant que nous sommes qu’ils meurent de faim pour d’autres raisons que la quantité de calories produites. Nous le savons. Ça n’a rien à voir avec le bio ou le pas bio. Nous savons que la malbouffe tue. Nous savons que nous gaspillons des tonnes et des tonnes de nourriture. Nous savons que la production industrielle – favorisée par notre système - mène à une augmentation proportionnelle de gaspillage comparée à la production familiale et locale. Nous savons que cette dernière est systématiquement détruite à large échelle dans les pays où elle est encore majoritaire. Nous savons que des multinationales spéculent sur la nourriture. Elles sont plus puissantes que les Etats, elles sont au-dessus de toutes les lois humaines. Elles sont d’un cynisme sans nom. Elles peuvent créer des pénuries, des guerres, la faim. 

Pour de l’argent. Pour du profit. Bien joué, la cote monte.

Alors, le prochain mouton qui me sort cette phrase si peu constructive, je lui réponds ici-même : documente-toi ducon.
Et tu liras en effet que certaines études assurent que la productivité de l’agriculture biologique est 25% inférieure à l’agriculture conventionnelle (chimique et pesticidée). Et là ducon tu me diras, ah ! tu vois ? Et là je te dirai : qui a financé ces études ? et tu me diras … euh, c’est une étude sérieuse et scientifiquement prouvée. Et là je te dirai… bon j’arrête, car tu es trop bête pour comprendre.

Maintenant, je reprends mon calme, je respire, et je partage avec vous la dernière étude, ou plutôt méta-étude publiée le 9 décembre dans les Proceedings of the Royal Society en Angleterre. Cette étude a été dirigée par Claire Kremen, professeur de sciences de l'environnement et codirectrice du Berkeley Food Institute de l'Université de Californie. Elle passe au crible trois fois plus de données que leurs prédécesseurs. Ils ont ainsi analysé 115 études de 38 pays, portant sur 52 espèces végétales et couvrant trente-cinq années. http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/282/1799/20141396

Là, je me sens mieux. Nous quittons le niveau du bar de bistroquet et on s’élève un peu mentalement. Car la conclusion de cette étude me conforte au moins dans mes convictions : lorsque l’agriculture biologique a recours à la polyculture et aux rotations, le différentiel tombe à 9%. En d’autres termes, c’est la diversification qui permet d’augmenter la performance de l’agriculture biologique. Si l’on ajoute à cela d’autres considérations – investissements dans la recherche agronomique pour améliorer les rendements, environnementales, gaspillage alimentaire dans l’industrie, et bien, oui, je le dis haut et fort, oui, l’agriculture biologique nourrit la planète. 

C’est la logique du profit qu’il faut abolir. C'est tout un système qu'il faut réformer. Et c'est possible de le faire sans effusion de sang. Il suffit de saisir à pleine main l'once de pouvoir qu'il nous reste à nous petit citoyen - face aux grands qui dirigent ce monde, j'ai nommé les multinationales. Notre pouvoir, c'est celui du consommateur. Le pouvoir de choisir ce qu'on achète. Et vous pouvez ainsi, en tournant le dos à la méga-industrie agro-alimentaire, lutter contre la faim.

Merci de m'avoir lue.

dimanche 24 août 2014

La Ferme du Loriot en 2014 et en photos

Les mois passent, et ma page reste silencieuse. Les mois passent et pourtant, j'ai plein de choses à dire, sans savoir par quel bout prendre le morceau. J'avais nommé le blog "devenir paysan c'est plaisant" avec à l'origine, un objectif simple: informer mon petit réseau personnel de l'avancée des travaux et du projet cochons. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans les travaux, et le projet n'est plus un projet. Nous approchons des quatre ans d'aventure. Alors si le projet devient une vie courante, que la maison est restaurée - bon ok, nous avons attaqué le crépis de la façade... ça reste visiblement un chantier! - et que le blog devrait aujourd'hui être rebaptisé "être paysan c'est souvent plaisant", et bien de quoi vais-je composer mes 2-3 articles annuels? De recettes de cuisine? Non, ce n'est pas moi qui pourrait apporter une touche originale sur ce thème...
j'aime manger, pas cuisiner!!! Donc, en attendant une inspiration qui tarde à venir, voici quelques photos pour ceux qui n'apprécient pas Facebook et le quotidien de la Ferme du Loriot qui y est conté.
Pour commencer, un petit cliché de l'éleveuse de cochons qui prend des rides mais qui, ma foi, me plaît bien. Vous noterez au passage que mes yeux brillent car je m'apprête à enfourner un bout de pizza...

Donc, démarrons avec notre principale production, les cochons. Tout d'abord, il y a les mères, et le père, Pif. Qui est pif. Et savez-vous ce que pif veut dire? On nous l'a donné car il était pif. Or c'est un adorable papa, à la tête bien sympathique, et qui adore se faire papouiller par moi. Le voici donc, qui regarde le photographe. Un bon gars je vous dis! En fait, mes reproducteurs requierent pas mal d'attention pour un problème bien précis, c'est qu'ils ont des poux (hiboux cailloux) et que je rechigne tant à les piquer à l'Ivomec, produit bien chimique qui m'est recommandé par les vétérinaires. Les huiles essentielles ayant un impact malheureusement limité, j'ai commencé à les épouiller simplement. Donc j'y passe du temps, mais au moins, ils se grattent moins. Et l'avantage, c'est que je passe des bons moments d'intimité avec eux. Cela dit, si quelqu'un a un bon conseil à me donner pour les poux, je suis preneuse... Pas de shampoing au pétrole quand même!


Et puis, s'il y a les mères + Pif  et bien après trois mois, trois semaines et trois jours, soit le temps de gestation, nous obtenons un joli résultat: des merveilleux porcelets qui nous ravissent à chaque portée. Nous allons fêter notre deux-centième porcelet né à la ferme! Pas mal hein, en deux ans de reproduction... avec le score (on aime les chiffres nous les paysans... on aime se comparer... hé hé... tellement humain), donc avec le score de 10,33 porcelets par mère et par portée. Pas mal pas mal. Nous sommes plus présents durant la mise-bas qu'à nos débuts, et c'est une bonne chose. Les mères aiment ça je crois. Allez, je vous en remets une... on les aime tant.

C'est étrange, sur Facebook, j'avais posté, toute fière, quelques photos de porcelets, et la réaction des visionneurs fût: "ne les tuez paaaaas!". J'en suis restée pantoise. ça pourrait être un autre sujet d'article tiens! Enfin, je dirais simplement: avant de parler de leur mort, laissons-les viiiiivre! Et j'ajouterais: heureusement que je n'ai pas les 200 porcelets devenus adultes sur mes pauvres 8,5 hectares! et je finirais par une dernière petite question: vous en voulez un? parce qu'après un an, ça pèse 200 kilos, et ça mange 365 fois 3 kilos de mélange d'aliments... Mais, suffit de nous le dire!

Donc, c'est aussi cela l'élevage de cochons plein air. S'organiser pour que nous puissions aisément les nourrir, stocker leur nourriture et la paille, que le travail au quotidien reste un plaisir. Et cette année, on peut dire que nous avons atteint cet objectif avec la construction d'un bel hangar en bois, et d'un silo en chêne dans l'ancienne grange, d'une capacité de 20 tonnes (il a fallut renforcer les poutres sous le plancher...), venant compléter nos deux silos de 8 et 16 tonnes. Là c'est bon, on assure. Et pour l'aspect travail-plaisir, nous avons eu l'honneur d'accueillir de merveilleux wwoofers, qui nous ont accompagnés dans nos journées laborieuses. Un vrai bonheur, et que d'énergie, que d'ardeur au travail! Tant d'intérêt, et d'échanges de vue sur la marche du monde, tant de rencontres enrichissantes. Une chose est sûre, c'est que nous avons été boostés, à en rester presque sur les rotules!!












Cette année, nous avons aussi souhaité diversifier notre production et miser dans le végétal avec la plantation d'un champ de pommes de terre, 50% Charlottes, 50% Agata. Sur 1000m2. Fernand notre voisin, nous a aidés, une aide précieuse sur les aspects techniques qui nous manquaient niveau butage, et il nous a prêté son arracheuse de patates, une bien jolie machine ancienne très efficace. Parce qu'à la bêche, je ne le sentais pas trop-là... Il nous reste les deux tiers à ramasser. Dieu que c'est dur. Tous mes respects aux maraîchers. Car je le dis: la terre est basse.













Et Nicolas dans tout ça? et bien... c'est lui en tout petit là-bas! il plante les patates. Il a une tendinite à la main droite, et c'est plutôt dur pour lui sur cette photo. C'est pour ça que je l'ai pris de loin!!! 



Et là, il apporte le fourrage en hiver (sans neige) aux Marseillais (z'étaient 13 pour ceux qui connaissent les numéros de départements).


Deux petits clichés pour finir cette bafouille, d'abord en l'honneur de nos deux grands chasseurs, qui adorent également se prélasser dans mes salades lorsque je travaille au potagers. Merci Bogdan et Mirza pour les centaines de rats, rats taupiers, souris et mulots de tout genre qui sont tués, engloutis et digérés jour après jour! Ils nous sauvent vraiment, car vu les tonnes de grains qui dorment dans notre grange...

Et pour finir en beauté, une photo de mon choix. Un brin humoristique. En effet, les cochons goûtent à tout.
 
Amicalement vôtre et à euh... à dès que possible!




jeudi 6 février 2014

C'est technique... appelle un spécialiste!



Etre paysan, croyais-je, c'est avoir les pieds sur terre. Etre éleveur, croyais-je, c'est prendre soin de son troupeau. Mais ma vision des choses était extrêmement réductrice. Je souhaite parler aujourd'hui d'un aspect pri-mor-dial de la définition d'un paysan: c'est maîtriser la technologie. C'est d'être capable de réparer ses outils, c'est de construire des structures qui l'aideront dans son travail au quotidien. Autant dire que les paysans se meurent. Leurs outils se sont perfectionnés, grâce à la mécanique d'abord, puis l'électronique. Les réparations se sont complexifiées. Et le paysan s'est vu contraint de faire appel à des spécialistes, qui, une fois sollicités, vous envoient ma foi la facture qui va avec la réparation. ça douille.

Mais ce n'est pas tout: je pense aussi au temps passé sur ces machines qui dysfonctionnent. C'est inouï. Et dans notre cas, toutes les réparations ont dû être faites sur du matériel NEUF: eh oui, nous achetons neuf pour être tranquille? détrompez-vous, c'est droit l'inverse qui se passe. Alors que j'écris cela, mon paysan d'époux est en train de s'acharner sur notre balance, celle qui permet d'étiqueter les sachets sous-vide, exigence légale oblige. Elle est retournée deux fois chez le fournisseur. Elle a moins d'un an. Elle est électronique. Elle tombe en panne. Elle n'est pas réparable par mon paysan d'époux. Autre exemple? notre caisson-frigo, celui qui permet de transporter la viande réfrigérée, exigence légale oblige (bon, celle-là me semble justifiée!). Mais que diable, on a acheté le caisson neuf il y a un an. Il est passé en réparation trois fois. TROIS FOIS vous avez bien lu. ça donne envie de hurler. Mais quelle camelote nous vend-on? Réponse, c'est pas grave, vous êtes sous garantie... Mais et le temps que nous y passons? Il est gratuit aussi celui-là? Car, figurez-vous que je n'ai pas d'autre exemple à donner, car pour le reste, et il en reste des montagnes, nous avons favorisé l'occasion. Parfois même des occasions trèèèès anciennes, qui pourtant fonctionnent bien. Je pense par exemple à notre belle balance à poids, capable de peser 500kg avec de jolis poids à l'ancienne représentants chacun 100 kg. Et là, aaaah on respire: pas de batterie, pas de dépendance au pétrole, ni à l'électricité, s'il gèle elle fonctionne, s'il fait chaud elle fonctionne. C'est incroyable. Et elle doit bien avoir, mettons... quatre-vingt ans! Bien entendu, elle n'est pas capable d'étiqueter quoi que ce soit... Par contre elle nous fait gagner un temps fou, et une énergie folle, chaque jour.

Les concessionnaires ont également bien "pensé" aux besoins des éleveurs, et offrent des solutions, moyennant finance bien sûr. ça douille encore. Il faut sélectionner un animal? vous pouvez acheter tout un set de barrières-métal. C'est bien le métal, mais il devient de plus en plus fin et de qualité médiocre (on a acheté de l'inox oxydable, intéressant). Et il faut une énergie monstrueuse pour le produire si l'on tient compte de son extraction, sa fabrication, son transport intercontinental. Bref, à l'heure des beaux discours de développement durable et de décroissance, nous avons préféré FABRIQUER notre sélectionneur, avec du bois. Local. Renouvelable (ce n'est pas de l'Acajou). Il se casse? il faut l'ajuster? tu changes une planche et elle est bonne! Bon, d'accord, les clous et vis sont en métal... faut pas pousser quand même!

Ces petits exemples, c'est juste pour illustrer une prise de conscience profonde, que j'ai ressentie dans mes tripes: celle qui me permet de dire que nous sommes devenus dépendants. Ultra-dépendants d'une grosse machine qui nous tient par la bourse (les mecs, vous pouvez mettre ce dernier terme au pluriel aussi). Quand je parle de dépendance, je pense aux drogues dures. Je parle donc d'une pathologie. D'une maladie. La plus répandue aujourd'hui, c'est celle de l'écran. Il n'y a pas que les paysans qui sont concernés, donc. Nous nous accrochons à des gadgets. Des objets désignés comme IN-DIS-PEN-SABLES. Mais nous avons perdu la capacité de maîtriser nos outils. Et ça, c'est très grave. C'est un monstrueux débat de société qui se cache derrière cela. La maîtrise des outils. Car on me dira: "oui, mais en même temps, c'est important d'étiqueter les sachets pour savoir ce que l'on mange...". Ben oui, dans notre société oui. Mais qu'en est-il si l'acheteur connaît le producteur? L'étiquette perd son sens. Surtout si l'on connaît le prix de l'étiqueteuse et que son prix se répercute sur le produit fini. Non?